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La Boulangerie - Une nouvelle vie professionnelle

Après des études supérieures et une première vie professionnelle épanouissante, Audrey Pinault et Cédric Arsac ont fait le choix de devenir boulangers : deux parcours de vie courageux et fascinants qu’ils nous font partager.

Audrey Pinault,

à 33 ans, vient de commencer une nouvelle vie professionnelle en boulangerie. Ingénieur agronome de formation, elle a décidé de changer de métier il y a un an maintenant et nous parle de ses motivations, de son parcours, de sa passion.

Vous avez fait le choix de devenir boulangère, quel parcours vous a amené à cette décision ?


C’est l’aboutissement d’un long cheminement. J’ai un diplôme d’ingénieur en agriculture et agro-alimentaire de l’institut supérieur d’agriculture de Rhône-Alpes et j’ai travaillé 10 ans pour l’interprofession céréalière. Mon dernier poste était responsable de communication digitale. Ce métier me plaisait par de nombreux aspects, mais au bout de 10 ans j’avais envie de changement. Je sentais quelque chose d’inassouvi. J’avais également envie de quitter Paris.

Depuis mes débuts dans l’interprofession, j’ai toujours été attirée par le pain. Je trouve le produit noble, vivant, représentatif de la culture française. Il y a plusieurs années, j’ai commencé à me renseigner sur les formations en boulangerie. Au début, c’était un projet qui s’inscrivait dans le cadre de mes loisirs. Je voulais passer un CAP pour le plaisir de la découverte et pour compléter mes connaissances. Mon besoin de changement m’a poussée à refaire mon CV, mais sans envie. J’ai vécu alors une profonde remise en question et fait un bilan de compétences qui a mis en évidence mes valeurs. C’est dans ce contexte que le projet d’exercer en boulangerie est ressorti.

Changer à ce point d’orientation professionnelle est un changement majeur ; au-delà de l’envie, avez-vous des peurs ?

J’ai eu peur, bien sûr, au moment de laisser mon ancien travail. Il fallait quitter mes collègues, renoncer à un certain confort, à un métier, à un appartement parisien, accepter de commencer en bas de l’échelle comme ouvrière. Tout cela me faisait peur, mais, une fois la décision prise, ces peurs se sont évanouies.

Quels sont les ressorts de votre motivation ?

La boulangerie est un métier de sensation, de toucher, d’odeurs qui me procure une grande satisfaction. J’avais envie de faire moi-même, de faire ma recette, d’être au plus près de mon métier, de la chaîne de production, du produit et du client. C’est un travail qui conjugue le sens, l’instinct, le vivant... C’est passionnant. Ma motivation, c’est aussi une rencontre. Au début de mon parcours de reconversion, j’ai fait un stage chez une personne qui s’était reconvertie 10 ans auparavant et qui m’a donné confiance.

Comment s’est passé votre formation, qu’en retenez-vous ?

J’ai fait l’école de boulangerie de Paris et suivi le même programme que celui de la formation initiale, mais en condensé : 3 mois de cours, 3 mois de stage, 50 % de théorie, 50 % de pratique. Pour moi, la partie théorique a été plus facile que la partie pratique : il ne suffit pas de « bachoter » avec le pain. Côté manuel, je ne pars pas de rien : j’ai fait de la pâtisserie, de la cuisine, de la couture, je dessine. La boulangerie, ce sont des gestes, de la coordination, des paramètres qui varient : la farine, la pâte, l’alvéolage… Il faut acquérir le toucher, c’est un métier d’apprentissage et expérience.

Qu’est-ce qui vous a plu dans ce parcours ?

Ce qui m’a plu, c’est découvrir un nouveau métier, retourner à l’école, apprendre, sortir de ma zone de confort. J’ai beaucoup aimé les stages également. J’en ai fait trois, dans des entreprises très différentes, avec des produits différents. J’ai pu expérimenter diverses manières d’exercer le métier, ce qui m’a permis de bien identifier ce dont j’avais envie.

Quel est votre projet ? Comment envisagez-vous l’exercice de votre nouveau métier ?

Je viens de terminer mon cursus et j’ai trouvé un travail à Lyon, dans la boulangerie où j’ai effectué mon dernier stage. Je suis ravie. Je me laisse porter. Je vis au jour le jour. J’ai surtout envie d’acquérir de l’expérience. Avoir ma boulangerie en France ou à l’étranger, avec ou sans associés, pourquoi pas ? Mais ce n’est pas une fin en soi. Si je m’entends bien avec mes patrons, pourquoi ne pas rester employée ? Tout est possible. Pour l’instant, c’est encore l’envie d’apprendre qui domine. Je ne me sens pas encore avoir l’assurance entrepreneuriale. « Savoir-faire avant de faire faire », c’est aujourd’hui mon credo.

Qu’avez-vous découvert sur le métier dont on ne se doute pas quand on n’est pas de la partie ?

J’ai découvert à quel point la boulangerie est un domaine vaste, complexe et en constante évolution : par exemple, l’utilisation du levain, la fermentation longue, l’élargissement de la gamme de produits, en panification ou en viennoiserie. Le champ des connaissances métier est large, la part de l’expérimentation est importante. Il n’y a pas de recettes miracles tant les paramètres sont variables. J’ai également découvert l’aspect physique du métier. Il faut « tenir le coup » physiquement et psychologiquement. Les gens sont patients, mais il faut quand même apprendre vite. On est toujours en mouvement. Les bras et le dos travaillent beaucoup. Enfin, les boulangers ont parfois la réputation d’être mal aimables, ce n’est pas du tout l’expérience que j’ai eue. Je me sens bien et intégrée dans ce nouvel univers professionnel. Pour finir, je dirais que c’est un métier qui me passionne et dans lequel j’ai l’impression que j’aurai toujours quelque chose à apprendre.

Cédric Arsac,

après une reconversion il y a 5 ans, dirige aujourd’hui la boulangerie « Lorette » qu’il a créée rue de la Butte-aux-Cailles à Paris. Homme de marketing dans le secteur bancaire à l’origine, il a opéré un virage à 180 degrés. Il nous raconte son parcours, nous fait part de son expérience.

Vous avez fait le choix de devenir boulanger, quel parcours vous a amené à cette décision ?

A la fois un goût prononcé pour le pain et un concours de circonstances. J’ai grandi en Auvergne à proximité d’une boulangerie qui faisait du très bon pain. Le boulanger, meilleur ouvrier de France, était aussi champion du monde dans son domaine. Depuis mon enfance, j’adore le pain. Je finis toujours un repas en en mangeant, même après le dessert. Depuis longtemps, il y avait une petite musique lancinante dans ma tête qui me disait que mon goût pour le pain et mes compétences en marketing – j’ai fait un DESS « Marketing » – feraient un heureux mariage.

J’ai exercé 15 ans dans la banque à Paris. A 40 ans, j’ai pris un congé sabbatique de 3 mois. A mon retour, la direction souhaitait délocaliser mon poste à Bordeaux et je ne voulais
pas quitter Paris. C’est alors qu’a émergé l’idée d’une reconversion en boulangerie. Pour tester la faisabilité de ce projet, j’ai fait un essai de quelques jours chez un grand professionnel, dans le 15e arrondissement à Paris. Je me suis levé à 3 heures du matin, j’ai porté des sacs de farine… C’était éreintant, mais paradoxalement ça m’a donné envie d’exercer ce métier. J’ai alors partagé mon projet avec mon épouse car cela impliquait de grands changements dans la vie de famille. Après discussion, elle y a adhéré et accepté. En 2013, j’ai alors quitté mon métier de banquier et cet univers professionnel.

Comment vous êtes-vous formé ?

J’ai passé un CAP en 4 mois à l’Ecole de Boulangerie et de Pâtisserie de Paris (EBP). Cette formation m’a donné une vision globale du métier et m’a fourni un précieux accompagnement
à mes débuts. A titre d’anecdote, j’avais tout de même postulé dans la banque en parallèle de ma candidature au CAP. J’ai obtenu une réponse positive mais je me suis aperçu que ce n’était vraiment pas celle qui m’importait.
Le lendemain, j’ai reçu la réponse de l’EBP et là, j’étais réellement heureux ! J’ai ensuite suivi une formation complémentaire à l’Ecole Ferrandi, une école d’excellence, où on apprend le « juste geste ». Dans les deux cas, j’ai dû faire preuve d’une forte motivation. Les deux écoles sont très sélectives. Pour l’Ecole Ferrandi, il y avait 20 places pour 100 candidats.
J’avais beaucoup travaillé mon dossier de candidature en alliant les motifs de passion et de raison : exercer mes compétences en marketing sur un produit que j’aime énormément
avait du sens.
Pour ce qui est du financement des formations, le CAP a été pris en charge par mon ancien employeur et j’ai autofinancé l’Ecole Ferrandi.

Comment avez-vous créé votre boulangerie ?

J’ai commencé à chercher un fonds en parallèle de mon stage d’apprentissage. J’ai signé pour l’achat d’une boulangerie juste après avoir passé l’épreuve théorique du CAP.
Tout s’est bien enchainé, avec même un peu d’avance sur le rétro-planning que j’avais fixé en septembre 2013. J’ai ouvert la boulangerie le 15 octobre 2015.
C’était un engagement fort. J’avais évalué les risques. En effet, je pense qu’il y a trois principales menaces pour la boulangerie artisanale aujourd’hui : la grande distribution, Internet
et l’ubérisation. Dans Paris, la boulangerie est protégée de la grande distribution. Par ailleurs, le faible panier moyen, ainsi que la contrainte de distribution n’en font pas un bon produit pour Internet. Enfin, c’est un métier à trop grand savoir-faire pour un risque d’ubérisation de la profession.

Quelles sont vos plus belles réussites ? De quoi êtes-vous le plus fier ?

Je suis fier d’avoir transformé la boulangerie que j’ai rachetée, de proposer aujourd’hui des produits 100 % fait maison.
Je suis également fier d’avoir créé de l’emploi et ouvert une deuxième boulangerie. Au total, ce sont vingt personnes qui travaillent. 

Quel regard portez-vous sur votre activité 4 ans après ?

Aujourd’hui mon temps est réparti un tiers en production, un tiers en gestion, un tiers en vente. Les journées sont parfois très longues : de 3 heures du matin à 20 heures : plus rien à voir avec une vie de salarié ! Pourtant, je trouve mon travail très gratifiant ; je peux jongler avec les différentes  activités. En contrepartie, je suis toujours « en prise », 7 jours sur 7, y compris en vacances.

Quels sont vos projets ?

Une façon de trouver une bonne assise financière en boulangerie est de faire des économies d’échelle. Pour cette raison, je souhaite racheter une ou deux autres boulangeries.
Je me donne comme limite de ne pas perdre « mon âme artisanale ». Je souhaite rester présent dans les boulangeries, parler avec les salariés et les clients, leur communiquer mon enthousiasme et ma passion pour le produit.

05/09/2019

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