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Millennials : des goûts et des valeurs

Richard Delerins nous parle des « millennials », cette génération nombreuse qui détermine les tendances de consommation d’aujourd’hui et, plus encore, de demain.

Richard Delerins, co-directeur du Food 2.0 LAB Paris et chercheur associé au CNRS, nous parle des « millennials », cette génération nombreuse qui détermine les tendances de consommation d’aujourd’hui et, plus encore, de demain.

Le terme « millennials » – qui fait aujourd’hui consensus – désigne la génération des individus nés entre 1982 et 2000. On l’appelle aussi « génération Y ». Ce sont aujourd'hui les 18-35 ans. Ils forment la génération la plus nombreuse ayant jamais vécu, plus nombreuse que les baby-boomers qui détenaient le record jusque-là. En France, en 2020, les millennials représenteront la moitié de la population active et, dans dix ans, les trois quarts. Ils sont les consommateurs d'aujourd'hui et de demain. Ils sont au cœur du moteur économique.

C’est une génération qui partage des valeurs. Les millennials des pays développés d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Asie (Corée du sud, Japon et les « nouvelles classes moyennes » en Chine) ont plus de points communs entre eux qu’ils n’en ont chacun avec la génération qui les pré- cède dans leur pays d’origine. Ceci est nouveau : auparavant, l’essentiel des valeurs étaient transmises de façon intergénérationnelle – d’une génération à l’autre.

Comprendre les valeurs, mais aussi les goûts, les émotions, les habitudes des millennials est essentiel pour saisir les nouvelles dynamiques de consommation à l’œuvre dans nos sociétés. Plus encore, les comportements de consommation alimentaires des millennials se diffusent et sont adoptés par les générations qui les précèdent.

Qu’est ce qui caractérise cette génération et quelles sont ses valeurs ?

En anthropologie, pour caractériser une génération, on cherche à identifier des « marqueurs ». Ce sont des éléments du système culturel qui permettent de mesurer le change- ment des pratiques ou des comportements.

L’un des marqueurs qui caractérise les millennials est la mixité culturelle, mais aussi génétique. En Europe, par exemple, le programme d’échanges universitaires Erasmus a permis, depuis sa création en 1987, à 2,5 millions d’étudiants d’y participer : 1 million d’enfants sont ainsi nés de parents de nationalités européennes différentes qui se sont connus grâce à ce programme. Le terme « Hapa (contraction de l’anglais half or part) » désigne ces individus mixés génétiquement.

Cette génération brassée, mixée construit son identité sur ces valeurs : ce qu’atteste le succès des tests génétiques individuels – commercialisés depuis 2007 – qui permettent de déterminer les origines de nos parents et de nos ancêtres sur plusieurs siècles. En novembre 2017, 3 millions de kits de séquençage individuel du génome ont été offerts en cadeau de Thanksgiving au prix de 49 dollars. L’identité des millennials se construit sur ce credo : « Je suis singulier, unique par ma mixité, mon mélange ».

Le brassage et la mixité se repèrent également dans l’incorporation de l’anglais dans les langues étrangères, dont le français. C’est ce qu’on appelle l’anglobal : casting, deal, dispatcher, rush, workshop, freelance, standby, le drive, customiser, standing ovation, binge watching, burn out, geek... sont des mots désormais courants en francais. L’anglobal touche aussi les marques, par exemple « Relais H » est devenu « Relay »...

Autres valeurs fortes des millennials : le « sentiment de soi » et la liberté individuelle. L’un des marqueurs et des signes les plus visibles en est le tatouage : le tatouage comme « l’inscription de soi ». 38 % des millennials sont tatoués contre 10 % de la génération X. Alors que, par le passé, le tatouage marquait l’appartenance à une communauté, il signe aujourd’hui la volonté de se réapproprier son corps, c’est une marque d’individuation. Il s’agit d’un phénomène commun à tous les pays développés. Une enquête, menée par un grand quotidien français sur les rescapés du Bataclan deux ans après, montre qu’ils sont des dizaines à s’être fait tatouer, comme une trace indélébile et affichée du drame qu’ils ont vécu : « Pour se souvenir, pour porter le deuil, mais aussi pour réapprendre à vivre ». En Corée du Sud, la profession de tatoueurs a été récemment dérégulée car le numerus clausus, précédemment en vigueur, ne per- mettait plus de répondre à la demande.

Les millennials constituent une génération également marquée par la « fluidité de genre ». Les frontières entre masculin et féminin sont plus floues ; ce qui se traduit dans la multiplicité assumée des formes de sexualité. C’est une façon d’affirmer sa liberté individuelle sous la forme du choix. A titre d’illustration, s’inscrire sur Facebook aux Etats- Unis et définir son profil nécessite de choisir entre 50 genres différents : Bigender, Cisgender, Gender Fluid, Gender Ques- tioning, Female to Male, Male to Female...

En France, le libre choix des prénoms depuis 1993 illustre ce double phénomène de mixité et de forte individualisation. Désormais, les prénoms peuvent être empruntés à toutes les cultures ou totalement inventés. L'officier d'état civil est tenu d'inscrire le prénom choisi par les parents, quel qu'il soit.

Enfin, les selfies sont le signe peut-être le plus quotidien de cette apologie de l’individu et du sentiment de soi : on se regarde soi-même dans un mouvement d’extériorisation de l’intimité, « d’extimité ».



 

En quoi et comment cela influence-t-il les comportements alimentaires ?

Dans les comportements alimentaires, on retrouve tous les marqueurs évoqués. Pour les milllennials, l’alimentation devient un mode d’expression de soi.

Cela se traduit notamment dans la conception même de l’acte culinaire. Il existe deux conceptions de la cuisine : une conception, qui consiste à transformer par le feu, c’est la cuisine de l’alchimiste qui correspond à la cuisine française et une autre, qui consiste à assembler les aliments pour ne pas les dénaturer, caractéristique de la cuisine des Etats-Unis, c’est la cuisine du naturaliste, qui vaut aussi par sa praticité et par des temps de préparation courts. Les millennials sont amateurs de cette cuisine d’assemblage – elle permet à la fois de mixer les ingrédients et d’individualiser les plats, d’où le succès des « bowls » par exemple. C’est aussi la possibilité de composer à sa guise un sandwich à partir d’un grand choix d’ingrédients qui a fait le succès d’une certaine chaine de fast food.

La tendance est à manger un plat individualisé et à être parfaitement à l’aise dans le fait de « manger seul », ou plutôt en compagnie de ses amis Facebook... Les restaurateurs notent l’explosion des réservations pour les personnes seules. En France, le guide Fooding affiche désormais une rubrique « Manger seul ».

Par ailleurs, on photographie ses plats, comme on se photographie soi-même, pour poster les images sur les réseaux sociaux. On retrouve ici le phénomène de l’ « extimité » déjà mentionné.

Comme facteur influençant les modes de consommation, on peut aussi citer la compression du temps et des rythmes de vie et la théorie des « micro-moments ». Ce sont de brefs segments de temps pendant lesquels les consommateurs font des demandes sur leur smartphone et attendent des réponses instantanément pour prendre une décision. Ce découpage de la durée est rendu possible par la puissance de calcul des machines et reformule les comportements.

Pour conclure, on peut dire que les millennials ne sont plus des consommateurs au sens classique du terme. Ils veulent que leurs valeurs individuelles soient en « consonnance » avec les valeurs incorporées dans les aliments qu’ils mangent.

En ce sens, l’anthropologie est l’outil majeur pour comprendre ces transformations, ce n’est plus le marketing. Dans les choix alimentaires des millennials, tout se joue sur les valeurs qui, pour certaines, leur sont communes et pour d’autres sont différentes d’un individu à l’autre. Certains accorderont plus d’importance à la santé, d’autres au bien- être animal, d’autres encore à l’authenticité des aliments ou à leur traçabilité. Pour répondre à la demande de cette génération, il faut comprendre les valeurs véhiculées par les pro- duits alimentaires.

Selon vous, que peut-on dire de l’avenir du pain dans ce contexte ?

Comme facteur favorable, il faut noter l’engouement actuel pour les « graines » et les protéines végétales. Les produits céréaliers ont un bel avenir devant eux : notamment les nouvelles boissons fermentées et aussi bien sûr, toutes sortes de pains, si les professionnels savent être à l’écoute des millennials.

En France, 10 % des 18-24 ans sont végétariens, contre 16 % en Allemagne et 20 % au Royaume-Uni

05/04/2019


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