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Récit de moisson

Philippe Dubief nous accueille sur son exploitation, où depuis le début de son activité en 1992, chaque année la récolte est l’aboutissement de longs mois de travail.


La récolte est chaque année un moment essentiel pour l'agriculteur. Chaque moisson a ses spécificités : qu'en est-il de celle de 2018 ?

Sur mon exploitation de 350 hectares, j’exploite près de la moitié de la surface en blé meunier. Chaque année nous avons des incertitudes sur la quantité et la qualité des blés que nous moissonnerons. Nous sommes totalement dépendants de la météo. Cette année, la récolte est de très bonne qualité, avec 80 % des blés premiums, mais nous avons eu un déficit en quantité : moins 10 % par rapport à la moyenne quinquennale. La quantité se mesure avec une règle un peu complexe comprenant le nombre d’épis au m2, le nombre de grains par épis ainsi que le poids de 1 000 grains. Le poids de 1 000 grains se fixe définitivement dans les derniers jours sur le champ. Jusqu’au dernier moment, on ne sait pas exactement ce que donnera la récolte. Or, c’est déterminant pour le meunier. La rentabilité de son activité en dépend : plus le poids est important, plus il y aura de farine. En dépit de ce petit bémol, 2018 fait partie des bonnes années ; d’autant plus appréciable qu’elle succède à plusieurs années difficiles de 2013 à 2017.

De façon générale, pouvez-vous nous décrire les coulisses d’une moisson ?

Il faut tout d’abord que je précise que si la moisson est le moment crucial, il y a un « avant » et un « après ». La moisson se prépare toute l’année. « L’avant », c’est le choix délicat des variétés de blés que l’on va semer. Ce choix se fait en fonction de la valeur boulangère des blés et des conditions pédoclimatiques.
Il intègre de 10 à 15 critères. Il tient compte des informations diffusées par Arvalis – l’institut technique de la filière –, par la coopérative agricole à laquelle je livre mes blés, par la chambre d’agriculture, ainsi que par les fiches descriptives.

Pour ma part, je cultive trois variétés différentes et n’en change, le cas échéant, qu’une à la fois. La commande des semences se fait dès la fin juillet. A la même période, on prépare les sols. « L’avant », ce sont aussi les semis qui ont été faits du 1er octobre, pour les variétés les plus précoces, au 20 octobre, pour les plus tardives. Cette opération, comme beaucoup d’autres dans notre métier, demande une grande attention car le blé doit avoir atteint un stade très précis de sa croissance avant les grands froids. S’ensuivent différentes étapes : le tallage, la montaison, l’épiaison et bien sûr, l’ultime étape, la maturation des grains. Côté coulisses, toute l’année, il faut assurer l’entretien et la réparation des machines.

C’est un travail et une préoccupation continus qui s’intensifient au cours du mois qui précède la moisson. Il ne s’agit pas d’avoir une panne alors que les blés sont mûrs ! « L’après », c’est l’allotement et le stockage des blés. Tous nos blés sont stockés à la ferme. C’est aussi le ramassage de la paille. Si les bottes sont de forme carrée, il faut s’en occuper tout de suite car elles seront mouillées en cas de pluie. C’est différent pour les bottes rondes dans lesquelles l’eau ne pénètre pas. Quant à la moisson elle-même, il s’agit bien sûr du moment crucial de l’année. On redouble d’attention quelques jours avant. On surveille les blés et on guette le moment où ils jaunissent et prennent leur belle couleur dorée. Pour ma part, je prends quelques épis dans la main, je les bats et mets les grains sous la dent. S’ils sont croquants : c’est le moment. Après ce premier test, très empirique, je moissonne 300 à 400 m2 de blé et remets cet échantillon à la coopérative pour analyse. Si l’échantillon répond aux critères attendus, notamment le bon taux d’humidité – généralement 14,5 % – il est temps de déclencher le chantier. Il faut également surveiller de très près la météo, tout est question d’ajustement.

Nous redoutons les alternances de chaleur et de pluie facteurs de
germination, d’excès d’eau… Nous nous devons d’être réactifs face aux aléas climatiques. Sur mon exploitation, la moisson dure 5 à 6 jours. Chaque matin, il faut choisir les bonnes parcelles à moissonner selon la maturité des blés et leur localisation pour éviter des allers-retours inutiles et coûteux en temps et en carburant.

Le moment de la moisson est un moment déterminant. Personnellement, comment le vivez-vous ?

C’est un grand moment de plaisir, très affectif, un moment privilégié et familial qui coïncide avec le début des vacances scolaires. C’est aussi un moment collectif. Je travaille avec mon épouse, un salarié et un ou deux jeunes qui viennent aider. Mes enfants sont là également. Mais, c’est aussi un fort moment de stress. Le mois qui précède, la tension monte. Il faut régler toute l’organisation. La préparation est très rationnelle, minutieuse : une belle horlogerie qui sera soumise aux aléas climatiques. 
 Parfois tous ces efforts sont récompensés par une bonne récolte, parfois, non, sans que cela tienne à la qualité de notre travail.

 

Qu’aimeriez ajouter sur votre métier ?

Depuis 1992, je compte 27 campagnes à mon actif. J’aimerais ajouter quelques mots sur les changements que j’ai observés. D’abord sur les conditions climatiques : en 25 ans, la date
de la moisson a avancé d’une dizaine de jours. Aujourd’hui, nous moissonnons dès les premiers jours de juillet. La douceur des hivers fait peser la menace des gelées de printemps sur des blés dont la croissance est désormais trop avancée. Ensuite sur le métier lui-même : il est toujours aussi passionnant, mais de plus en plus difficile économiquement et techniquement. Il nécessite un large éventail de compétences.
En vacances, par exemple, je dois regarder tous les jours le cours du blé car il faut décider, en temps réel, du bon moment pour vendre. Il en va de la rentabilité de l’exploitation. C’est un métier où les choix à faire sont devenus nombreux, complexes et lourds de conséquences. Depuis 4 à 5 ans, l’esprit du métier a changé : nous pensons les récoltes en fonction du marché.
La production est de plus en plus ajustée à la demande. Pour finir, une conviction personnelle : l’innovation servira toute la filière à la fois pour améliorer les process de production, la rentabilité et pour mieux répondre aux attentes sociétales. 

02/12/2018


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